Victor Horta
Architecte, dessinateur et décorateur belge, Victor Horta est considéré comme le principal pionnier du style « Art nouveau » en architecture. Il a utilisé en virtuose la pierre, l’acier et le verre mêlant avec bonheur les courbes et les doubles courbes s’enlaçant tels des pédoncules de fleurs.
Quatre de ses œuvres architecturales ont été inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Une jeunesse rebelle
Victor Horta naît le 6 janvier 1861 à Gand. Il est le 14e des 15 enfants de Pierre Horta, un artisan cordonnier marié à deux reprises. Si le jeune Victor respecte et épouse les qualités de son père, il se rebelle contre les excès d’autorité de sa mère avec laquelle il entretiendra continuellement des rapports conflictuels :
- Victor a la fibre artistique de son père et est attiré par la musique, en général, et par le violon en particulier. A l’âge de 12 ans il se fait toutefois renvoyer du Conservatoire de Gand pour cause d’insubordination.
- Sa mère, elle, ne veut pas entendre parler d’une carrière artistique et mettra tout en œuvre pour l’orienter vers une fonction honorable telle que la médecine ou le droit.
Victor Horta dans les bras de sa mère
Source : http://www.michelegoslar.com
La scolarité de l’adolescent contrarié dans ses aspirations se passe donc très mal : indiscipliné et peu motivé, il se fait régulièrement renvoyer de plusieurs écoles. Il faut dire qu’entre-temps, Victor a eu l’occasion d’aider son oncle entrepreneur en effectuant quelques travaux sur chantier. Il y a appris à aimer l’architecture.
De guerre lasse et convaincus que leur fils ne réussira jamais d’études classiques, les parents acceptent de l’inscrire à l’Académie des Arts Décoratifs de Gand. Il y étudie le dessin, les techniques du textile et l’architecture. Pour Horta, ce sera le début d’une vocation et d’une grande passion …
Le stage à Paris
En 1878, Victor Horta est envoyé en stage à Montmartre chez Jules Dubuysson, un architecte décorateur d’intérieur.
Victor Horta
Source : http://www.michelegoslar.com
C’est l’occasion pour le jeune stagiaire de découvrir les nouveaux mouvements picturaux que sont l’impressionnisme et le pointillisme mais aussi de nouveaux matériaux de construction : l’acier et le verre. Victor ne peut s’empêcher d’établir un parallèle entre la peinture et l’architecture : ces deux formes d’art aspirent en fait à se libérer des formes classiques et à prendre un nouveau visage.
Horta met son séjour à Paris à profit pour observer et étudier les bâtiments classiques et se projeter dans un avenir d’innovation qui se précise chaque jour davantage.
Dans ses « Mémoires », il écrira :
« Mon séjour à Paris, mes promenades, la visite des monuments et des musées avaient ouvertes toutes grandes les portes de mon cœur d’artiste. Aucune école n’aurait pu mieux m’enseigner l’enthousiasme de l’architecture que la vue, la lecture des monuments m’a donné et qui m’est resté pour toujours »
Une chose ne fait désormais plus aucun doute pour lui : il devra s’imposer en dessinant de grands bâtiments publics. Il est donc temps de se mettre au travail et de reprendre sérieusement des études.
A la mort de son père en 1880, Victor rentre en Belgique et s’inscrit à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles.
Horta trouve sa voie
Le séjour parisien a été bénéfique : l’adolescent indiscipliné a mûri et veut mettre toutes les chances de son côté pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé : créer en toute liberté des œuvres personnelles où il pourra affirmer les grands principes de son art, c’est-à-dire du rationnel mais aussi de la beauté et de la convivialité.
A l’académie, Victor Horta se révèle être un élève extrêmement brillant qui ne tarde pas à attirer l’attention de ses professeurs. L’un de ceux-ci se trouve être l’architecte du roi Léopold II : Alphonse Balat chargé de dessiner les plans des serres royales de Laeken. Professeur et élève unissent leurs efforts pour mener le projet à bonne fin. Victor est en admiration devant les jeux de lumière, la verrerie et l’acier mais Balat réussira surtout à lui inculquer l’amour du détail parfait qu’il convient d’étudier au cas par cas.
Alphonse Balat Source : Wikipedia |
Les serres royales Source : Wikipedia |
Est-ce à dire pour autant que professeur et élève évolueront en osmose parfaite ? La forte personnalité de Victor Horta l’amènera à se détacher de son mentor, trop attaché à la tradition classique, alors que lui rêvait d’innovation et de contre-courant des modes.
Nanti d’une médaille d’or à la fin de ses études, Horta entreprend la construction de 3 maisons mitoyennes à Gand puis observe une période d’apprentissage de 8 ans au cours de laquelle il participe à divers concours et bâtit de petites constructions. Il désire mettre cette période à profit pour peaufiner son art dans lequel il veut introduire des lignes courbes destinées à amplifier l’impression d’espace. C’est aussi à cette époque qu’il entre dans la loge franc-maçonnique « Les Amis Philanthropes » ce qui lui permettra d’élargir son cercle de connaissances.
Victor Horta se sent maintenant prêt à entamer la construction de demeures résidentielles. Les commandes ne vont pas tarder à affluer …
Un art nouveau voit le jour
Deux des frères francs-maçons, Eugène Autrique et Emile Tassel, confient à Victor Horta la construction de leur hôtel particulier et lui donnent carte blanche pour donner libre cours à sa créativité. Ce sera le début d’une longue série d’édifices raffinés aux espaces novateurs et aux verrières lumineuses.
Si la maison Autrique est encore définie comme une œuvre de transition, l’hôtel Tassel est carrément considéré comme le premier édifice Art nouveau au monde, propulsant ainsi son maître-d’œuvre sur le podium des architectes spécialisés dans ce mouvement artistique.
Son secret ? Une vision toute personnelle de son art et aussi le respect de grands principes :
- Construction de bâtisses pleines de lumière à l’aide de verrières à motifs végétaux
- Adjonction de ferronneries faites de volutes et d’arabesques aux façades et aux balcons
- Aménagement des espaces intérieurs : les pièces et les chambres s’ouvrent sur des niveaux différents
- Utilisation de marbre et de diverses essences de bois
- Adaptation du style aux particularités et aux nécessités de chaque commande afin de refléter, en dernière analyse, la sensibilité du client
- Chaque œuvre est unique ; aucune répétition n’est autorisée
- Recherche de la perfection en révisant inlassablement les plans initiaux.
Une verrière |
Ferronneries en façade |
Espaces intérieurs sur des niveaux différents |
Le succès est au rendez-vous : Victor Horta devient rapidement la coqueluche des nouveaux bourgeois de Bruxelles car habiter du Horta est un signe de bon goût et de richesse. Petit à petit on parle de l’architecte belge dans toutes les revues spécialisées d’Europe.
Les commandes de maisons particulières et d’édifices publics se succèdent. Epinglons en quelques-uns :
- L’hôtel Solvay
- L’hôtel Van Eetvelde
- La Maison du Peuple commandée par le Parti Ouvrier Belge
- Sa maison personnelle et son atelier
- L’hôtel Aubecq
- Les grands magasins : « A l’Innovation » et « Le Grand Bazar Anspach »
Le perfectionnisme de Victor Horta le pousse à tout prévoir dans les moindres détails. Ainsi, il s’occupe non seulement des plans de ses édifices, mais également de leur décoration intérieure : tentures, mosaïques, tapisseries, mobilier, bibelots … Il travaille avec frénésie et ne dort que 3 à 4 heures par nuit.
Victor Horta à sa table de travail
Source : Wikipedia
En 1902, le maître est au sommet de son art ; il a changé la manière d’habiter et de composer un plan d’architecture. Mais un tournant s’annonce dans sa carrière car l’Art nouveau s’essouffle en Europe …
Retour à plus de classicisme
Quoique largement installé en Europe, le courant « Art nouveau » n’a pas la vie longue. Progressivement, un goût pour la géométrie commence à reprendre ses droits tout en gardant toutefois quelques idées du mouvement artistique désormais sur le déclin. La mode annonce l’Art-déco !
Aux Etats-Unis avec sa seconde épouse
Source : http://www.michelegoslar.com
Horta s’adapte et se détache de l’Art nouveau tout en faisant preuve d’une grande maîtrise : les courbes cèdent devant des lignes droites dominantes mais la « griffe Horta » demeure dans la mesure où le maître continue à jouer avec la lumière, les couleurs de la lumière et l’agencement des espaces.
La Première Guerre mondiale va interrompre ses activités … En 1916, Horta se rend à Londres au « Congrès pour la Reconstruction de la Belgique ». Informées de sa présence en Angleterre, les autorités allemandes le déclarent persona non grata et l’obligent à s’exiler. Il choisit de se rendre aux Etats-Unis où il donnera de nombreuses conférences sur l’Art nouveau dans les universités les plus prestigieuses et deviendra même professeur d’architecture à l’université George Washington.
Lorsqu’il rentre en Belgique en 1919, ses conceptions architecturales ont complètement changé : il s’essaie au béton et donne un aspect beaucoup plus cubiste à ses constructions.
Au palmarès de la seconde moitié de sa carrière figurent, notamment, trois réalisations majeures à Bruxelles :
- L’hôpital Brugmannn, commencé en 1906 ne sera cependant terminé qu’en 1923. Construit dans un parc de 18 hectares aux allures de jardin arboré, l’hôpital se compose de nombreux pavillons indépendants les uns des autres
- Le Palais des Beaux-Arts avec sa merveilleuse salle de concerts Le Bœuf. Le plan audacieux de Horta suscite cependant pas mal d’objections dans le monde politique. Le projet ne verra le jour qu’en respectant deux contraintes :
- Des magasins doivent obligatoirement garnir les façades donnant sur la rue
- Le bâtiment ne peut cacher la vue que l’on a du Palais Royal sur le bas de la ville. Au grand dam du maître d’œuvre, la hauteur de l’édifice a dû être réduite tandis qu’il devait s’implanter plus profondément dans le sol.
- La Gare Centrale avec ses contraintes liées à la complexité des lieux. Projet de longue haleine, interrompu par les deux Guerres Mondiales, la construction de la gare n’était pas complètement terminée lors du décès de Victor Horta. Maxime Brunfaut se chargea des derniers travaux en respectant scrupuleusement les plans de son collègue.
Palais des Beaux Arts de Bruxelles | Salle de concerts Le Boeuf |
Une fin de vie morose
Le génie et le succès de Victor Horta ont suscité bien des jalousies. L’artiste est souvent décrié par ses contemporains et injustement traité par les arcanes du pouvoir. Dans l’entre-deux-guerres, son oeuvre et l’Art nouveau sont contestés, négligés puis oubliés. Ce désintérêt, voire la détestation dont il fait l’objet, plongent Horta dans une solitude désabusée que son anoblissement en 1932 ne parvient pas à surmonter.
En 1939, il entame la rédaction de ses « Mémoires » et, paradoxalement, décide de détruire la plus grande partie de ses archives et de ses dessins.
Il s’éteint, dans la solitude, le 8 septembre 1947 à la clinique de la rue de Linthout dont il avait, jadis, lui-même orchestré l’édification …
Titres et honneurs
Tout au long de sa carrière, Victor Horta a accumulé des titres et a été chargé d’honneurs (dont certains le seront à titre posthume) :
- Professeur à la Faculté Polytechnique de l’Université Libre de Bruxelles (1892-1911)
- Président de la Société Centrale d’architecture de Belgique (1894)
- Directeur de l’Académie des Beaux Arts de Bruxelles (1913)
- Professeur d’architecture à l’université George Washington (USA)
- Directeur de la section architecture de l’Institut Supérieur des Beaux Arts à Anvers (1920-1927)
- En 1932, il est anobli par le roi Albert 1er qui lui confère le titre de baron
- Une station de métro porte son nom (inaugurée en 1993)
- Son effigie figure sur le billet de 2.000 francs belges
- Inscription de quatre de ses réalisations au Patrimoine mondial de l’Humanité de l’UNESCO (2000)
Le roi Albert 1er |
La station de métro Horta |
Effigie sur billet de banque |
Ce qu’il reste de l’œuvre de Victor Horta
Lorsque l’Art nouveau fut passé de mode, beaucoup d’édifices conçus par Horta furent détruits ou vendus au prix du terrain … L’artiste lui-même estimait d’ailleurs que son architecture était condamnée à terme car elle était faite pour un acheteur et un usage particulier.
La Maison du Peuple
Démolir à tout prix !
Qualifié de style « Nouilles », l’Art nouveau n’avait plus la cote d’autant plus que de nombreux plagiaires de l’œuvre du maître du mouvement l’ont mal imité et ont délibérément omis d’en reprendre l’esprit. Les nouvelles réalisations rivalisaient de laideur et étaient indûment attribuées à Horta. Il fallait assainir le territoire et supprimer toutes ces bâtisses hideuses. On mit tous les œufs dans le même panier et des chefs d’œuvre furent rasés sans la moindre émotion.
Parmi les victimes du massacre figure la Maison du Peuple de Bruxelles, l’un des joyaux de l’architecture « Art nouveau ». Informés des intentions des autorités politiques, deux Italiens déclenchèrent un mouvement de protestation qui allait devenir mondial. Un symposium de 400 architectes organisé à Venise vota une motion unanime contre la destruction du bâtiment. En vain ! La Maison du Peuple disparut en 1965.
Heureusement, il subsiste encore de nombreuses maisons privées qui font la fierté de leurs propriétaires. Gageons que ceux-ci sauront les préserver pour qu’elles témoignent encore longtemps du génie de leur auteur !
Une reconnaissance internationale
Depuis novembre 2000, la liste des œuvres inscrites au patrimoine mondial de l’humanité s’est enrichie de 4 réalisations de Victor Horta :
- L’hôtel Tassel
- L’hôtel Solvay
- L’hôtel Van Eetvelde
- La maison et l’atelier de l’artiste.
Hôtel Tassel |
Hôtel Solvay |
Hôtel Van Eetvelde |
Maison et atelier de Horta |
Voici un extrait du rapport officiel (Source : http://whc.unesco.org/fr/list/1005) :
Le Comité considère que ces réalisations font partie des œuvres d’architecture novatrices les plus remarquables de la fin du 19e siècle. La révolution stylistique qu’illustrent ces œuvres se caractérise par le plan ouvert, la diffusion de la lumière et la brillante intégration des lignes courbes de la décoration à la structure du bâtiment.
Le Comité a décidé d’inscrire ce site sur la Liste du Patrimoine mondial sur la base de 3 critères :
- Les habitations de ville de Victor Horta à Bruxelles sont des œuvres du génie créateur représentant l’expression la plus aboutie de l’influence du style Art nouveau dans l’art et l’architecture.
- L’apparition de l’art nouveau à la fin du 19e siècle, qui marqua une étape décisive dans l’évolution de l’architecture, annonce les changements futurs. Les habitations de Victor Horta à Bruxelles sont le témoignage exceptionnel de cette approche radicalement nouvelle.
- Les habitations de ville de Victor Horta sont des exemples exceptionnels de l’architecture art nouveau illustrant brillamment la transition du 19e au 20e siècle en matière d’art, de pensée et de société.
« A regarder ainsi les pierres, à vivre avec elles dans l’intimité de leur vie, mon ami, à la longue, apprit à savoir d’Elles ce qu’Elles pensent d’elles-mêmes et ce qu’Elles pensent de nous. Que de fois, leurs secrets surprirent son ignorance, à lui qui se croyait déjà instruit pour avoir tourné ‘autour d’Elles’ ».
Victor Horta, « Mémoires »
Contexte historique :
- Règne de Léopold II
- Règne d'Albert 1er
- La Première Guerre mondiale
- La Belgique dans la Première Guerre mondiale