Les Belges, leur histoire ...

et celle de leur patrie, la Belgique

Le suffrage universel tempéré par le vote plural

(1893-1919)

 

L’arrivée sur la scène politique d’un troisième parti, le Parti Ouvrier Belge (POB) ne remet pas immédiatement en cause la bipolarisation de la vie politique belge. Face à la majorité catholique, les libéraux et les socialistes se rejoignent par leurs idées anticléricales. Cette recomposition politique ouvre la voie à un processus de démocratisation dans lequel le POB va jouer un rôle moteur.

Soucieux de conquérir le pouvoir par les voies légales, les socialistes voulaient des victoires électorales. Pour y réussir, ils devaient secouer l’indifférence du peuple en matière de scrutin et obtenir d’abord la suppression du régime censitaire, qui donnait à 6 millions d’habitants une représentation de 137.000 électeurs !

Par le Serment de Saint-Gilles près de Bruxelles, le 10 août 1890, ils jurèrent en masse, après une manifestation grandiose, de « combattre sans trêve ni repos » pour l’établissement du suffrage universel. A la vieille notion de droit de vote considéré comme une fonction sociale, aux mains de groupes intéressés à la prospérité de l’Etat, se substituait celle d’un droit naturel commun à tous les citoyens.

Pas à pas, la cause du suffrage universel gagna du terrain. Le 17 novembre 1890, Paul Janson faisait une nouvelle proposition de révision constitutionnelle. Cette fois, la Chambre, intimidée par une formidable grève des mineurs, la prit en considération.

Emile Vandervelde Paul Janson
Emile Vandervelde   
Un passé pour 10 millions de Belges, p. 119
Paul Janson  
La Belgique centenaire, p. 189


Conformément aux stipulations de la Constitution, une Chambre dite Constituante devait discuter les modifications à apporter à la loi fondamentale. Les discussions s’y éternisèrent.

Le 11 avril 1893, la Chambre repoussait le suffrage universel pur et simple à 21 ans proposé par Janson et rejetait une série de propositions transactionnelles.

C’en était trop pour la patience populaire. Des troubles sérieux, une grève générale, soutenue par les articles véhéments du journal « Le Peuple », firent fléchir le Parlement. Le 18 avril, la Chambre votait le projet de conciliation du député Nyssens, c’est-à-dire le suffrage universel tempéré par le vote plural.

Chaque citoyen, âgé de 25 ans et domicilié depuis 1 an dans la commune, se voyait octroyer un vote, mais 1 ou 2 voix supplémentaires étaient accordées :

  • à l’homme marié censitaire
  • ou au veuf avec 1 enfant
  • au petit propriétaire
  • au capitaliste (2.000 francs de capital ou 100 francs de revenu)
  • au diplômé
  • au capacitaire

Le vote fut désormais obligatoire. La Constitution ainsi remaniée pour la première fois depuis 1831 fut votée le 7 septembre 1893.

Le vote plural fut établi aussi pour le Sénat. Celui-ci fut réorganisé par la même occasion :

  • Le cens d’éligibilité fut abaissé à 1.200 francs d’impôts directs
  • 27 sénateurs supplémentaires furent désignés par les conseils provinciaux
  • L’âge des électeurs sénatoriaux et provinciaux fut relevé à 30 ans

Le vote plural éleva d’un bond le nombre des électeurs généraux de 137.000 à 1.370.687 et celui des suffrages à 2.111.127. Si le corps électoral fut multiplié par 10, les électeurs n’étaient pas encore égaux puisque :

  • 850.000 disposaient d’une seule voix
  • 290.000 disposaient de 2 voix
  • 220.000 disposaient de 3 voix
Caricacture du vote plural
Caricature du vote plural

Source : La Wallonie, son histoire, p. 167

Quoi qu’il en soit, le règne des notables était terminé.

Du vote censitaire au suffrage universel