La Libération engendre la « Question Royale »
Au chapitre précédent, nous avons vu dans quelles circonstances Léopold III a jugé opportun de laisser un « Testament politique » dans lequel :
- Il justifie les actes qu’il a été amené à poser
- Il attire l’attention des futurs gouvernants sur l’urgence qu’il y a à s’attaquer avec clairvoyance à la question flamande afin que les 2 communautés puissent vivre en toute sérénité
- Il demande qu’amende honorable soit faite pour les paroles ignominieuses qui ont été prononcées à son égard
Le 7 juin 1944, au lendemain du débarquement allié en Normandie, les SS arrêtent le roi et le déportent, ainsi que sa famille, en Allemagne d’abord, en Autriche ensuite.
Le 8 septembre 1944, le gouvernement belge rentre à Bruxelles. Le 19 septembre, le Parlement se réunit pour faire face à la situation créée par l’absence du roi toujours captif des nazis et donc dans l’impossibilité de régner. Le prince Charles, frère du roi, est choisi comme Régent du royaume.
Le Prince Charles | Le gouvernement belge |
Manifestation anti-léopoldiste
Le 7 mai 1945, un message annonce la libération du roi et de sa famille. Ils ont quitté l’Autriche et se sont installés en Suisse en attendant de rentrer en Belgique. Cette nouvelle ne réjouit ni l’ensemble de la classe politique, ni une partie de la population. La Question Royale commence à alimenter les conversations.
Le 15 juin 1945, le roi manifeste l’intention de rentrer en Belgique et de reprendre ses prérogatives royales. Le gouvernement l’informe aussitôt que son retour n’est pas souhaité et qu’il est susceptible de déclencher des événements fâcheux dans le pays. Le peuple belge lui reproche à la fois :
- Son refus, en mai 1940, de suivre le gouvernement en exil pour continuer la lutte aux côtés des Alliés. En ce faisant, il avait montré qu’il croyait à la victoire finale de l’Allemagne
- Son entrevue avec Hitler à Berchtesgaden
- Son mariage avec Lilian Baels pendant sa captivité est mal accueilli par une partie de la population qui ironise sur le « pseudo-prisonnier » alors que 65.000 soldats wallons étaient retenus en Allemagne jusqu’en 1945.
Un va-et-vient incessant s’établit entre Bruxelles et la Suisse : des ministres, des parlementaires, le Régent et des juristes viennent s’entretenir avec le roi à la recherche d’une solution. Pendant ce temps-là, en Belgique, les opinions se radicalisent par presse interposée et les gouvernements se succèdent. Les positions des uns et des autres se précisent :
Favorables au retour du roi | Contre le retour du roi |
---|---|
Catholiques |
Socialistes, Libéraux, Communistes |
Flamands |
Francophones et Wallons |
Monde rural |
Grandes villes et industriels |
Le clivage est à la fois politique, linguistique et économique. Bref, la Question Royale demeure dans l’impasse.
Devant la crise persistante, le roi propose alors de s’en remettre à une consultation de la population. Il s’engage à interpréter les résultats « avec le souci des intérêts supérieurs du pays ». Il prévoit de s’effacer si le nombre de voix favorables à son retour est inférieur à 55%.
Le référendum étant inconstitutionnel, la consultation populaire du 12 mars 1950 fut présentée par le gouvernement comme « une statistique d’opinion ».
Loin de régler le différend, le résultat de la consultation va, au contraire, le rendre encore plus complexe. En effet, si 57,68% des Belges se sont prononcés pour le retour du Roi, une analyse plus fine révèle une profonde division communautaire. Les votes favorables se répartissent de la manière suivante :
- Flandre : 72%
- Bruxelles : 48%
- Wallonie : 42%
Une nouvelle crise ministérielle aboutit à des élections législatives où le Parti Social Chrétien obtient la majorité absolue dans les 2 Chambres législatives. Le gouvernement homogène PSC de Jean Duvieusart se croit maintenant autorisé à conclure à la « fin de l’impossibilité de régner » et à organiser le retour du Roi.
Léopold III, accompagné de ses 2 fils, arrive en Belgique le 22 juillet. Quelques jours plus tard, de violentes et sanglantes émeutes éclatent dans le pays, orchestrées par les partis de gauche. Le parti socialiste appelle à la grève générale et laisse se développer des manifestations d’une violence incroyable. A Grâce-Berleur, la gendarmerie tire sur les manifestants et tue 3 d’entre eux. Les Wallons dépavent les routes et se préparent à marcher sur Bruxelles.
Devant cette situation tragique et pressé par le gouvernement qui le pousse à l’abdication, le Roi s’incline en 2 temps :
- Le 1er août 1950, il cède ses pouvoirs à son fils Baudouin qui reçoit le titre de Prince Royal. Par la même occasion, le souverain annonce son intention d’abdiquer si la réconciliation nationale s’opère autour de l’héritier du trône
- Le 16 juillet 1951, Léopold III abdique officiellement.
Le Prince royal prête serment | Léopold III abdique |
La Question Royale se termine en 1951, mais elle porte déjà en elle les ferments d’autres disputes nationales qui ne vont pas tarder à se développer.