Le territoire bourguignon
Une politique matrimoniale habile, l’utilisation d’une grande puissance financière, mais aussi le recours à la force, permirent aux ducs de Bourgogne de se constituer un vaste ensemble territorial. L’opération se déroula en 3 temps :
- La préparation de l’unité
- L’unité
- L’échec des projets d’expansion et la désagrégation
La consultation du tableau synoptique aidera grandement le visiteur à s’y retrouver dans le dédale des Etats et du jeu politique mené par les différents acteurs de la saga bourguignonne.
La préparation de l’unité
Elle est l’œuvre des 2 premiers monarques bourguignons :
- Philippe le Hardi
- Jean sans Peur
Tout commença en 1363 lorsque le roi de France, Jean II le Bon, céda le duché de Bourgogne à son fils cadet Philippe le Hardi pour le récompenser de sa vaillance au cours de la Guerre de Cent Ans.
En 1369, Philippe épousa Marguerite de Maele, fille unique du comte de Flandre, qui héritera en 1384 :
- Du comté de Flandre y compris la Flandre gallicante (châtellenies de Lille, Douai et Orchies)
- Du marquisat d’Anvers
- De la seigneurie de Malines
- Du comté d’Artois
- Du comté de Rethel
- Du comté de Franche-Comté (= comté de Bourgogne)
- Du comté de Nevers
A partir de ce moment-là, l’ensemble territorial bourguignon fut constitué de 2 groupes de seigneuries :
- Au Sud les « deux Bourgogne » (duché et comté) et le comté de Nevers auxquels s’ajoutera le comté de Charolais acheté en 1390. Ces territoires étaient appelés « Etats de par-delà »
- Au Nord, les autres territoires appelés « Etats de par-deçà ».
En diplomate avisé, Philippe le Hardi augmenta la puissance de sa famille par d’habiles unions matrimoniales. En 1385, il prépara pour sa descendance l’héritage des comtés de Hainaut, de Hollande et de Zélande en concluant un mariage croisé :
- Son fils, Jean de Nevers (futur Jean sans Peur), âgé de 14 ans, épousait Marguerite de Bavière, fille d’Albert de Bavière, régent des comtés de Hainaut, de Hollande et de Zélande
- Le même jour, Marguerite de Bourgogne (sœur de Jean), fillette de 11 ans, épousait le frère de Marguerite de Bavière, le futur comte de Hainaut-Hollande-Zélande, Guillaume IV. De cette union naquit Jacqueline de Bavière que nous aurons l’occasion d’évoquer ultérieurement.
En Brabant-Limbourg, Philippe le Hardi parvint à convaincre la duchesse régnante, Jeanne de Brabant, demeurée sans enfants, de céder par testament ses territoires à son second fils, Antoine de Bourgogne qui en hérita en 1406.
Jean sans Peur et Marguerite Source : Nos Gloires – J-L Huens |
Antoine de Bourgogne Toile de Roger Van der Weyden |
Jean sans Peur, quant à lui, tira parti de la situation troublée qu’il avait contribué à créer en France pour mettre la main sur des secteurs stratégiques. En 1416-1417, en combinant le droit et la force, il saisit :
- Le comté de Boulogne
- Les châtellenies de Roye, Péronne et Montdidier
- Le Mâconnais
- L’Auxerrois
Il faudra cependant attendre 1435 et le Traité d’Arras pour que ces terres soient officiellement cédées au duc de Bourgogne, Philippe le Bon.
L’unité
Ce ne fut qu’au cours du règne de Philippe le Bon que le savant échafaudage territorial imaginé par ses prédécesseurs allait porter ses fruits. Certaines circonstances providentielles, notamment le décès sans héritier direct de certains membres de la dynastie ou l’impécuniosité de certains autres, aidèrent grandement l’œuvre unificatrice en cours (voir : Généalogie des Ducs de Bourgogne).
- En 1421, Philippe le Bon acheta le marquisat de Namur à Jean III, aux prises avec les créanciers de son prédécesseur et le sauvant ainsi de la honte. Jean III put cependant garder l’usufruit de Namur jusqu’à sa mort en 1429 ; ensuite le marquisat fut incorporé aux possessions du duc de Bourgogne.
- Dans le duché de Brabant-Limbourg, Antoine de Bourgogne avait régné sans difficultés jusqu’au jour de sa mort en 1415 à la bataille d’Azincourt. Son fils, Jean IV fit figure d’incapable et eut à résoudre de graves démêlés avec les communes brabançonnes. A sa mort, en 1427, son frère, Philippe de Saint Pol, lui succéda mais mourut en 1430.
Le duché se retrouva sans héritier en ligne directe. Les Etats brabançons voulant échapper aux entreprises de l’Empereur Sigismond, ils désignèrent Philippe le Bon comme héritier du pays. - Le Hainaut, la Hollande, la Zélande et la Frise étaient gouvernées par Jacqueline de Bavière. Cette princesse, célèbre par sa beauté et ses malheurs, était à un double titre la cousine de Philippe le Bon car leurs pères avaient épousé la sœur l’un de l’autre (mariage croisé organisé par Philippe le Hardi en 1385). N’ayant pas de postérité, elle céda, d’ailleurs contrainte et forcée, tous ses Etats au duc de Bourgogne en 1433.
- Le duché de Luxembourg, avait été gouverné par le fils de Philippe le Hardi, Antoine de Bourgogne, duc de Brabant-Limbourg et mari d’Elisabethde Görlitz. Celle-ci avait continué à tenir le duché de Luxembourg après la mort d’Antoine en 1415. Puis, à partir de 1427, n’ayant pas d’héritier, elle était entrée en négociation avec son neveu, Philippe le Bon, en vue de lui céder ses droits sur la principauté. Mais l’accord intervenu entre la tante et le neveu suscita de fortes résistances de la part des parents d’Elisabeth qui, eux aussi, détenaient des droits sur le duché :
- L’Empereur Sigismond de Luxembourg
- Guillaume de Saxe
- Ladislas, roi de Bohême et de Hongrie
Les contestations et les revendications de ces compétiteurs contraignirent Philippe le Bon à agir par la force. En 1443, il fit la conquête du Luxembourg qu’il ne lâcha plus. Ses droits ne furent toutefois définitivement reconnus qu’en 1461.
Jacqueline de Bavière Source : Nos Gloires – J-L Huens |
Elisabeth de Goerlitz |
Philippe le Bon qualifia cet ensemble de « pays d’en bas » ou Pays-Bas par opposition aux « pays d’en haut » que constituent la Bourgogne et la Franche-Comté.
Le duc de Bourgogne tenait maintenant sous la main la quasi-totalité des grandes principautés laïques des Pays-Bas. Quant aux principautés ecclésiastiques, il ne s’en empara pas mais elles se trouvèrent toutes placées dans son aire d’influence :
- Les évêchés de Cambrai et de Thérouanne échurent à ses fils bâtards
- L’évêché de Tournai à son chancelier Rolin
- Quant à la grande et puissante principauté épiscopale de Liège, elle était étroitement surveillée par la puissance bourguignonne puisque Philippe le Bon avait réussi à placer son neveu Louis de Bourbon sur le siège épiscopal.
L’échec des projets d’expansion et la désagrégation
Charles le Téméraire nourrissait un plan grandiose : unir ses pays de par-delà à ses pays de par-deçà et, pourquoi pas, reconstituer le royaume attribué à Lothaire par le Traité de Verdun en 843. Ce rêve de domination bourguignonne faisait appel à des opérations militaires et à des entreprises diplomatiques :
- En 1473, Charles le Téméraire arracha à Adolphe d’Egmont le duché de Gueldre et le comté de Zutphen
- En septembre de la même année, il se rendit à Trêves avec le désir d’obtenir de l’Empereur Frédéric III une promesse de mariage de l’archiduc Maximilien avec Marie de Bourgogne, sa fille.
- En 1469, il acheta la Haute-Alsace au duc Sigismond de Habsbourg afin de jeter un pont entre Luxembourg et la Franche-Comté
- Il conquit la Lorraine et réalisa ainsi la jonction tant convoitée.
Possessions de Ph. le Hardi | Possessions de Ph. le Bon | Possessions de Ch. le Téméraire |
Mais les choses se gâtèrent et la révolte commença à gronder :
- La Haute-Alsace se souleva
- Le duc de Lorraine René II quitta l’alliance bourguignonne et se plaça sous la protection de Louis XI
- Les cantons helvétiques, pressentant le danger que représentait la jonction des territoires bourguignons qui les priverait de leur rôle d’intermédiaires commerciaux entre le Sud et le Nord de l’Europe, déclarèrent la guerre à Charles le Téméraire
- Loin de se consacrer exclusivement à combattre ces dangers, le duc se mêla des affaires de l’archevêché de Cologne et perdit un an à faire le siège de Neuss qui se termina par un échec.
La décadence était en marche :
- Les montagnards suisses culbutèrent l’armée bourguignonne à Grandson (2 mars 1476)
- Un nouvel effort militaire trop hâtif conduisit Charles à la débâcle de Morat où les Suisses lui enlevèrent son artillerie et ses trésors (22 juin 1476)
- Le duc battit en retraite vers le Luxembourg où il aurait pu reconstituer son armée. Mais, dans un état voisin de la démence, il entreprit le siège de Nancy en plein hiver avec des forces dérisoires et la meute de ses ennemis dans le dos. L’engagement final eut lieu le 5 janvier 1477 ; le duc y trouva la mort sous les murs de la ville.
Bataille de Morat | Bataille de Grandson |
Source : Les ducs de Bourgogne (Histoire médiévale), p. 40
La mort de Charles le Téméraire laissait son héritière, Marie de Bourgogne dans une situation désespérée. Sans armée, sans alliés, elle était à la merci du roi de France Louis XI qui fit main basse sur :
- La Bourgogne
- Les régions de la Somme
- Le Boulonnais
- L’Artois
Louis XI s’apprêtait également à entreprendre l’occupation de tous les Pays-Bas bourguignons. Le mariage de Marie avec Maximilien d’Autriche permit aux Pays-Bas d’échapper à l’absorption française mais ils se trouvèrent désormais entraînés dans l’orbite des Habsbourg d’Autriche.
Mariage de Marie de Bourgogne et de Maximilien d’Autriche
Source : Quand la Belgique était bourguignonne, p. 76