Les révoltes municipales
Dans leur effort de centralisation, les ducs se heurtèrent aux traditions régionales des provinces belges qui bénéficiaient de tout un système de privilèges et de libertés ne variant pas seulement d’une principauté à l’autre, mais aussi d’une ville à l’autre. La plus forte résistance leur vint surtout de Flandre et de la principauté de Liège : Bruges, Gand et Liège furent des cités particulièrement réticentes à l’acceptation des institutions centrales créées de toutes pièces par les ducs.
En Flandre
Le conflit avec Bruges
L’échec du siège de Calais en 1436 laissa à Philippe le Bon une profonde rancune : il ne pouvait oublier le caprice des Communiers se débandant et livrant les campagnes flamandes à l’ennemi.
Les Communiers
Source : La Belgique, Histoire et culture, p. 62
Peu après, il voulut faire des 90 villages constituant le Franc de Bruges un Quatrième Membre de Flandre (cf les Trois Membres : Bruges, Gand, Ypres). Encouragés par le duc, les gouverneurs de cette région résistèrent aux ordres de Bruges … en vain car Philippe le Bon, à la tête d’une escorte trop petite, faillit bien périr dans l’expédition.
L’audace des Brugeois souleva dans le comté une réprobation générale. Isolés, décimés par la famine et par la peste, ils durent se soumettre en 1438. La punition fut de taille :
- Plusieurs chef brugeois furent décapités ou proscrits
- La ville dut payer une amende
- Elle perdit ses droits de suzeraineté sur le Franc de Bruges et sur l’Ecluse
- A sa prochaine visite, le duc devrait être accueilli par les autorités communales à genoux, nu-pieds, nu-tête et criant « merci ! ».
Au prix de cette humiliation, la ville put conserver ses privilèges.
Le conflit avec Gand
Soumission des Gantois
après la bataille de Gavre
Source : Histoire de la Belgique
en mots et en images, p. 22
La ville de Gand posa également des problèmes au duc. Mais, dans un premier temps, il voulut la ménager car s’attaquer simultanément à Bruges et à Gand aurait été trop risqué.
Afin de ne plus devoir solliciter chaque année le renouvellement des subsides, Philippe le Bon avait établi à Gand une taxe permanente sur le sel (la gabelle) et sur la mouture. La ville refusa de payer. Aussitôt la population passa aux résolutions extrêmes et fit décapiter ou expulser les gens à la solde du duc. La guerre entre la ville et le duc devint impitoyable.
Durant le long siège de leur ville, les Gantois tinrent tête à Philippe le Bon. Devant cette résistance opiniâtre, l’armée bourguignonne se retira près du château fort de Gavre. Les communiers, attirés par un traître, la rejoignirent. Mais, attaqués par un ennemi supérieur en nombre et malgré leur acharnement, ils perdirent la bataille.
Ici également la sentence fut sévère :
- 2.000 bourgeois, en chemise et en braie, durent aller implorer la clémence du vainqueur
- Les Gantois durent payer une très lourde amende
- Ils durent livrer les bannières de leurs corporations
- Ils durent renoncer à la suzeraineté sur le Plat Pays
Alors seulement Philippe daigna se montrer bon prince et fit prendre des mesures pour relever la cité vaincue. Il laissa même aux Gantois l’étape des grains sur la Lys et l’Escaut.
En principauté de Liège
Bien qu’ayant un développement indépendant, la principauté de Liège ne pouvait échapper à l’influence des événements dans les autres principautés. Comme les grandes villes de Flandre et du Brabant, Liège était une cité démocratique, une véritable république, quasi indépendante. Les éléments les plus démagogiques des métiers avaient une prédilection marquée pour les grèves et les désordres à caractère politique.
La bataille d’Othée
Le prince-évêque Jean de Bavière, issu de la puissante dynastie des Hainaut-Bavière, comtes de Hainaut, était en conflit permanent avec ses sujets. Au bout de quelques années d’agitation, Jean de Bavière dut se retirer à Maastricht, ville que les Liégeois vinrent assiéger quelques années plus tard.
La bataille d’Othée
Les Maisons de Bourgogne (Jean sans Peur) et de Bavière ne pouvant tolérer cette humiliation obligèrent les Liégeois à lever le siège de Maastricht. Le 23 septembre 1408, le choc décisif eut lieu dans la plaine d’Othée, près de Tongres. Les milices des villes liégeoises furent écrasées : 8.000 Liégeois trouvèrent la mort sur le terrain.
L’autonomie urbaine fut anéantie par la sentence qui fut proclamée à l’issue des combats :
- Destruction des chartes de franchises et de libertés
- Abolition des métiers
- Démolition des fortifications
- De nombreux Liégeois furent décapités ou jetés à la Meuse, liés dos à dos.
Durant 9 ans, le prince-évêque imposa un régime absolutiste, puis il relâcha sa rigueur. Il abdiqua en 1417 avec l’espoir d’épouser Jacqueline de Bavière, comtesse de Hainaut-Hollande-Zélande.
Le successeur de Jean de Bavière, Jean de Wallenrode rétablit le fonctionnement des métiers et des principales institutions. Mais les révoltes reprirent de plus belle sous l’épiscopat de Jean de Heinsberg qui avait, d’une part, restreint l’influence des métiers dans l’élection des 2 maîtres à temps et, d’autre part, instauré une politique fiscale jugée excessive. Il abandonna sa charge épiscopale en 1455.
La bataille de Montenaeken
Louis de Bourbon, neveu de Philippe le Bon, succéda à Jean de Heinsberg. Il ne songeait qu’à se livrer à ses plaisirs et à satisfaire son goût du luxe. Comme il réclamait souvent des sommes exagérées, ses sujets le chassèrent.
Le prince-évêque demanda alors l’appui de son oncle, Philippe le Bon, tandis que les Liégeois recherchaient l’alliance de Louis XI, le roi de France. Celui-ci promit d’envoyer des troupes à leur secours mais ne tint pas parole. Philippe le Bon fournit à son neveu une armée qui mit en déroute les communiers à Montenaeken.
Louis de Bourbon Source : Wikipedia |
Louis XI Source : Wikipedia |
La ville
- fut condamnée à une forte amende
- ses franchises furent supprimées
- elle dut reconnaître Philippe le Bon comme protecteur de la principauté et lui verser annuellement une rentrée élevée.
Dinant à feu et à sang
Source : Nos Gloires, J-L Huens
Dinant
Cette ville faisait partie de la principauté de Liège. Or, sur l’autre rive de la Meuse, dans le comté de Namur désormais aux mains de Philippe le Bon, Bouvignes fabriquait les mêmes produits à meilleur marché. Les Dinantais souffraient de cette concurrence. Pour y mettre fin, et comptant sur l’appui des Liégeois et du roi de France, ils entrèrent à leur tour en conflit avec le duc de Bourgogne. Ils ravagèrent Bouvignes et les environs et se préparèrent à la vengeance de Philippe le Bon. Mais comme leur ville avait déjà soutenu victorieusement 17 sièges, ils la croyaient imprenable. Ils poussèrent même l’audace jusqu’à apposer des affiches insultantes pour le duc.
C’est Charles le Téméraire qui, remplaçant son père malade, se chargea de châtier les mutins. Orgueilleux, impitoyable, il arriva à la tête d’une armée imposante dotée d’une artillerie redoutable. Après un bombardement intense, Dinant fut prise le 27 août 1466.
Le duc de Bourgogne ordonna des noyades, des pendaisons, le pillage de la ville et sa destruction totale. La répression s’étendit sur 7 mois !
Huy – Bataille de Brusthem
La tension des relations entre la Maison de Bourgogne et les Liégeois n’était pas retombée. Après la mort de Philippe le Bon, les Liégeois, comptant à nouveau sur les promesses de Louis XI, s’emparèrent de la ville de Huy et contraignirent Louis de Bourbon à chercher refuge auprès de Charles le Téméraire.
Le châtiment ne se fit pas attendre. Charles avait juré de mettre le peuple liégeois à genoux. En 1467, la rencontre eut lieu à Brusthem où, par insuffisance tactique, 7.000 citoyens furent mis hors de combat.
Charles le Téméraire :
- enleva à Liège tous ses privilèges politiques
- aux métiers, il enleva leurs monopoles économiques
- les villes de la principauté durent livrer leurs armes, démolir leurs murs et payer des amendes excessives
- le perron, colonne qui symbolisait aux yeux des Liégeois l’ensemble des libertés de la ville, fut transféré à la Bourse de Bruges.
La dernière révolte de Liège – Les 600 Franchimontois
Le sac de Liège
Source : Quand la Belgique était bourguignonne
On ne pouvait imaginer humiliation plus complète. Et pourtant, la cité ardente ne s’avoua pas vaincue ! Un an plus tard, la ville se souleva à nouveau. Elle avait obtenu une nouvelle promesse d’assistance de Louis XI, mais ce souverain déloyal n’hésita pas à abandonner une fois de plus ses alliés.
Au moment où Liège se souleva, Louis XI était l’hôte de Charles le Téméraire à Péronne. Le duc, ayant appris la promesse faite aux Liégeois, fit emprisonner son suzerain puis exigea qu’il l’accompagne pour châtier la ville rebelle.
Liège, dépourvue de murailles, ne put soutenir un siège. C’est alors que quelques centaines d’hommes venus du pays de Franchimont tentèrent d’enlever Charles le Téméraire et Louis XI à la faveur d’une nuit sombre. Mais l’alarme fut donnée et les soldats bourguignons taillèrent en pièces la petite troupe des assaillants.
L’armée de Charles le Téméraire entra dans la ville, massacra tous les habitants, pilla et brûla leurs demeures. Liège n’était plus que ruines …
Puis, à nouveau à Gand, en Flandre …
Lors de l’inauguration de Charles le Téméraire, les Gantois réclamèrent à grands cris la restitution de leurs privilèges enlevés après la bataille de Gavre. Le duc feignit de céder, se promettant de prendre bientôt sa revanche.
C’est à ce moment-là qu’éclata la révolte de Liège.
Les Gantois, qui connaissaient l’esprit de vengeance du Téméraire, se doutèrent qu’un sort identique à celui des Liégeois les attendaient. Ils se hâtèrent d’implorer le pardon du duc qui obligea les échevins et les doyens des métiers à venir lui présenter les chartes de la ville en son palais de Bruxelles. Là, ils durent ramper sur les coudes et les genoux jusqu’à lui et, devant eux, de ses propres mains, le duc déchira les parchemins qui attestaient leurs privilèges.
Charles le Téméraire déchire les chartes gantoises
Source : Ancien manuel scolaire
Force est de constater que, si les ducs n’hésitaient pas à détruire des villes comme Liège et Dinant, il en allait tout autrement pour Bruges et Gand. La raison en est simple :
- Liège et Dinant ne dépendaient pas directement de l’Etat bourguignon et c’est au prince-évêque des lieux qu’il appartenait de payer la note !
- Bruges et Gand, par contre, étaient des villes qui faisaient la richesse des Pays-Bas bourguignons ; leur anéantissement aurait été synonyme de banqueroute …